lundi 26 septembre 2011

Alejandro Escovedo : Americana Idol par Marc Zisman Part 1


Précurseur punk californien avec les Nuns, parrain de la vague cow-punk avec Rank And File, ambassadeur du rock indé à guitare avec les True Believers, Alejandro Escovedo est aussi un songwriter unique. Mais qui est réellement au parfum de ce côté-ci de l’Atlantique ? Portrait d’une légende de l’americana qui a ouvert pour les Pistols, a ressuscité une fois pour de bon et s’est retrouvé dans l’iPod de George Bush !

A real animal ! Une vraie bête ! Alejandro Escovedo, c’est un peu ça… Une bête curieuse aussi. Atypique dans le paysage du rock’n roll américain. Concept album fouettant le sapin moins qu’il n’y parait, le dernier opus du grand songwriter basé à Austin (Real Animal) balaie plus de trois décennies de carrière musicale. Ou scanne plutôt toutes ses vies… Comme un rêve américain, tacheté de gros nuages bien noirs où suicide et tumeur rodent les années bissextiles, mais qui n’a pas encore offert son ultime épisode…

Alejandro Escovedo : Americana Idol par Marc Zisman Part 2


Punk, glam, new wave, cow-punk, americana, country ou juste rock’n’roll, Escovedo a tout fait : parties carrées (Nuns, Rank And File, True Believers, Buick MacKane) ou plaisirs solitaires depuis 1992, date de son premier album solo Gravity. Mais quelle que soit la forme, le fond demeure à part. Et si ses enregistrements squattent la section americana, sa musique ne ressemble à aucune de celles de ses voisins de bacs à disques. Sa vie (qui devrait d’ailleurs faire l’objet d’un documentaire signé Jonathan Demme, réalisateur du « Silence des agneaux ») non plus ne ressemble à aucune autre…
Lorsqu’il pousse son premier cri à San Antonio au Texas le 10 janvier 1951, le corps d’Alejandro Escovedo transpire déjà de toutes sortes de notes. Dire que la musique est l’oxygène de sa famille est un doux euphémisme… Si les parents d’Al jouent régulièrement dans les groupes mariachis, ses demi-frères ainés, Pete et Coke lui transmettent rapidement la fièvre rock’n’roll. Des frangins qui explosent leurs congas et autres timbales au sein des meilleures embardées de rock latino comme Malo, Azteca ou Santana (avant que leur leader chevelu, Carlos, ne sombre dans la mélasse)… Son père offre à Al une copie de Les Paul récupérée en remerciement d’un travail de plomberie et lui achète un petit Fender Champ pour amplifier la bête. Il la démonte pour la repeindre mais ne la remontera jamais… Alejandro attendra d’ailleurs de souffler ses 24 bougies avant de plonger lui-même corps et âme dans le rock’n’roll. Jusque là, la chose est pour lui son unique religion. Une religion faite de concerts auxquels il se rend plusieurs fois par semaine et de vinyles qu’il se paye dès qu’un dollar atterrit dans ses poches. Le Velvet, Thunders, Bowie, les Stones, les Stooges, les New York Dolls, Mott The Hoople, tout le rock essentiel du début des années 70 y passe.

Alejandro Escovedo : Americana Idol par Marc Zisman Part 3



Quand il débarque sur le Sunset Strip d’Hollywood où il s’installe en 1973, Alejandro Escovedo les voit tous ! A l’English Disco ou au Whiskey A Go-Go, il dévore les sets furibards des combos d’Iggy ou de David Johansen, et de Patti Smith au concert de laquelle il rencontre celle qui deviendra sa femme, Bobbie Levie. Deux ans plus tard, il s’installe avec elle à San Francisco, dans l’espoir d’étudier le cinéma, sa grande passion. Son premier groupe, les Nuns, nait là-bas.

En 1975, avec Delphine Neid, Jennifer Miro et Jeff Olener, Escovedo lance donc un des premiers véritables groupes punk de Frisco. Une sorte de combo que suivent les zonards, dealers et autres travelos locaux et dont le fait d’arme, tout de même, sera d’ouvrir pour l’ultime concert des Sex Pistols au Winterland de San Francisco en janvier 1978… Une tournée new-yorkaise suivra où Escovedo croisera en chair et en os Andy Warhol, Richard Hell, les Heartbreakers, George Clinton… Les Nuns rentrent en Californie. Sans Al. Comme envoûté par la chair de la Grosse Pomme. Le cultissime Chelsea Hotel s’impose à Al et Bobbie qui font leur Sid et Nancy… Là, en 1980, avec Chip Kinman des Dils, il monte Rank And File où les tensions punk et heavy se mêlent à un original parfum de country. Ils sont alors peu nombreux à cracher ce qui deviendra du cow-punk. La musique des garçons vachers n’a alors pas réellement la cote sur la scène indé, qu’elle soit punk, new wave ou post punk. Surtout à New York… Après une tournée, Rank And File se pose définitivement au Texas, à Austin. Mais le problème est ailleurs : « On était trop country pour les clubs de rock, et trop rock pour les clubs country ! » racontera Escovedo plus tard. Le style devient pourtant contagieux au point que le label Slash, écurie majeur en matière de country invertie, signe Rank And File et publie Sundown en 1982, un album qui influencera une tripotée de futurs apprentis de l’americana. Un enregistrement qui marquera aussi la fin de l’aventure pour Escovedo dont les envie divergent des autres membres du groupe.

Alejandro Escovedo : Americana Idol par Marc Zisman Part 4



Ses envies garage et glam, Alejandro Escovedo les concrétisent en 1983 avec son frère Javier au sein des True Believers. Fondateur des mythiques Zeros en 1976, un des premiers groupes punk californiens, Javier a déjà pris de l’avance sur Al en matière de songwriting. Son énergie mêlée à celle de son frère accouche, toutes guitares bandantes, de ce beau machin énervé et agité, comme une version roots des Clash et des Dolls. Le buzz est rapide (les Los Lobos sont fans !), le contrat suit immédiatement (avec Rounder Records) et les fréquentations sont plus que léchées (Jim Dickinson, à l’époque tombé dans l’oubli, produit leur premier disque) : les Troobs, comme on les surnomme, publient, un album en 1986 et enchaînent avec une tournée bien remplie au rayon des clichés rock’n’roll du sexe et de la dope… Cette année-là, ils ouvrent régulièrement les concerts de Los Lobos. Mais cette hype ne résistera pas à un coup du sort. Un soir de septembre, à New York, le groupe d’Al est humilié sur scène par sa première partie. Devant un public médusé, les Georgia Satellites donnent une leçon aux Troobs. Leçon qui mènera d’ailleurs la bande de Dan Baird aux sommets des charts, et les True Believers sur la pente du dépôt de bilan… En 1987, le second opus bidouillé cette fois pour EMI par le producteur des Satellites, Jeff Glixman, est prêt mais ne sortira pas ! Pris dans la tempête qui sévit dans le management d’EMI, les Troobs sont virés de la major, tout comme leurs collègues de bureau des Neville Brothers, Peter Wolf, des Del Lords et même Brian Setzer. Tout part en vrille et Javier rejoint Charlie Sexton en tournée : les True Believers se consument comme un beau cliché punk…

Alejandro Escovedo : Americana Idol par Marc Zisman Part 5



Retour à la case départ pour Escovedo qui se terre à Austin. Un boulot chez Waterloo Records, mythique magasin de disques local, lui laisse du temps pour écrire et jouer localement avec des groupes à géométries variables. Avec Bobbie, le chaos prend le dessus, la séparation est inéluctable et malgré la naissance de leur seconde fille en 1990, le monde d’Al s’écroule le 24 avril 1991 : Bobbie s’est suicidée.

Suivi par le label Watermelon depuis son retour à Austin, Al se fait financer la réalisation de son premier album solo, Gravity, qui sort l’année suivante. Produit par Stephen Bruton, l’essai est une intense et poignante collection de poèmes introspectifs et de saynètes hantées par la mort de son amour disparue. Moucheté de cordes, l’opus impressionne et renferme la fascination d’Escovedo pour John Cale, Dylan et Gram Parsons qu’il conjugue en musique de chambre. Même en France, le label New Rose distribue le premier essai solitaire d’un musicien de goût. Parallèlement à ce bel exutoire racé, fait de violons, de chuchotements et de râles solitaires, Escovedo se garde un pense-bête pour ne jamais oublier ses sauvages racines punk et glam : le combo baptisé Buick MacKane.

Alejandro Escovedo : Americana Idol par Marc Zisman Part 6



En 1993, Thirteen Years, indissociable de son prédécesseur Gravity, poursuit le périple mortuaire, entre rédemption et descente aux enfers en mode velours. Trois ans plus tard, le label Ryko accueille Escovedo qui change de braquet et enregistre un album nettement moins anthracite, With These Hands, auquel participe le patriarche poilu et rebelle Willie Nelson. Apparemment chaud sur la bête, ce nouvel employeur sort même un opus de Buick MacKane, The Pawn Shop Years, joujou heavy et glam d’Al, en même temps qu’il réédite le premier album des True Believers et surtout le second, resté jusqu’ici inédit. C’est l’époque où Alejandro Escovedo ne cesse de tourner, sa vraie passion de musicien. Le Texan n’a jamais caché sa préférence pour la scène plutôt que le studio. Confronter ses compos à son public, même dans les épuisantes et lassantes conditions d’interminables tournées, telle est l’une de ses marottes.

Malheureusement pour Alejandro Escovedo, aucun de ses albums ne percera réellement. Et l’ex-Nuns doit son éternelle survie discographique à sa base de fans hardcore et aux nombreux musiciens le citant comme une influence majeure. Un respect et une aura qui sera saluée en 1998 par (feu) la bible de l’americana, le magazine No Depression, qui le sacre « Artiste de la décennie ». La même année, Escovedo trouve un nouveau refuge dans l’écurie de Chicago spécialisée en country-alternative, Bloodshot Records. Il y publie son nouvel album un peu fourre-tout, Bourbonitis Blues, pour mélanger compos personnelles et reprises de goût (Gun Club, Lou Reed, Brel…). Suivra A Man Under The Influence dans lequel se promènent avec élégance ses éternels fantômes, qu’ils viennent des Stones de Beggars Banquet, du John Cale de Paris 1919 ou, en vrac, de Townes Van Zandt, Tom Petty ou Lou Reed.

Alejandro Escovedo : Americana Idol par Marc Zisman Part 7




Alejandro Escovedo est mort à Phoenix en avril 2003. Mort ? Presque… Un soir, pris de malaises, il s’effondre après avoir vomit du sang pur. Les veines sclérosées de son œsophage ont éclaté. Son foie est déjà bien cirrhosé. Et une vilaine tumeur s’accroche à son abdomen. Mais malgré cette hépatite C déclarée, Escovedo s’accroche. Aidé pour ça par sa nouvelle compagne, l’écrivaine Kim Christoff. Et par la communauté qui se mobilise pour payer les aditions salées d’un exorbitant et interminable traitement médical. Malgré l’amaigrissement et la dépression, l’animal réintègre le monde des vivants en 2005. Plus motivé que jamais. Temps fort de ce long tunnel de souffrance, un double album tribute sur lequel une trentaine de collègues de bureau se réunissent pour ramasser les fonds nécessaires aux coûteux médocs et autres hospitalisations : « Por Vida (Or Music) : A Tribute To The Songs Of Alejandro Escovedo » réunit un hallucinant casting avec, entre autres, Calexico, Steve Earle, Ian Hunter, Ian McLagan, les Jayhawks, Son Volt, Peter Case, Charlie Sexton, Howe Gelb, les Cowboy Junkies, John Dee Graham, Lenny Kaye, Bob Neuwirth et même John Cale en personne ! Ne pas avoir limité ce double CD aux habituels ambassadeurs de l'americana prouvera surtout que l'art d'Escovedo va bien au-delà des frontières texanes et fascine en dehors du petit cercle de la country alternative.

Si l’année 2005 est celle de la résurrection pour Alejandro Escovedo, c’est aussi celle d’une anecdote ovni : aux côtés notamment de « My Sharona » de The Knack et « Brown Eyed Girl » de Van Morrison, sa chanson « Castanets » se retrouve dans la playlist de l’iPod de… George Bush !!! Jusqu’en 2008, Al refusera de jouer le titre sur scène en guise de cocasse protestation… Escovedo est un homme en reconstruction. Physique tout d’abord. En mai 2006 sort le très sombre The Boxing Mirror produit par John Cale et auquel participe sa femme Kim. Al promène ce nouveau disque sur les routes américaines en compagnie de son quintet à cordes et conclut sa tournée, en décembre, au Zankel Hall du Carnegie Hall de New York.